Sortie 20 juillet 2022 - Drame / Thriller / Espagne / France - 2H17
Réalisé par Rodrigo Sorogoyen Avec Marina Fois / Denis Menochet / Luis Zahera / Diego Anido
Suspense avec serial-killer, engrenage politique infernal, trouble psychologique après la perte d’un enfant et ici conflit entre voisins sur fond de racisme. Des sujets forts qui brillent et se transcendent devant la caméra de Rodrigo Sorogoyen. Son sixième long est un film choc, qui évoque Les chiens de paille ou Délivrance.
C’est sous tension qu’un couple français s’est installé dans un petit village de Galice pour pratiquer l’agriculture éco responsable et restaurer des maisons pour faciliter le repeuplement. Opposés au projet d’installation d’éoliennes sur leurs collines, ils se mettent à dos de nombreux voisins qui avaient signé l’adhésion en échange d’une indemnité. Xan et Lorenzo sont deux frères, natifs du village et voisins de ces intrus, qui ne recherchent qu’à aller de l’avant et reconstruire leur vie, jusque dans les cendres d’une vieille bâtisse à l’agonie.Il y a ceux qui voudraient sortir de la ruralité et ceux qui voudraient y vivre. L’affrontement est aussi rude que la vie montagnarde. Le droit du sol récolte les moissons de la haine. On voit bien que cette querelle de voisinage sur fond de xénophobie, de sentiment de mépris de classe, ne peut pas bien se finir. L'écologie devient un facteur capitaliste extrême et presque antinomique qui fait se confronter deux visions du monde, deux castes différentes.
Tourné dans les montagnes des Asturies espagnoles, le thriller façon western nous plonge dans un village où tous les coups sont permis... La tension et le poison de la folie humaine se distillent lentement mais surement à travers l’écran. C'est pas Galice au pays des merveilles. Au moment où l’intrigue commence, la haine est déjà bien enkystée chez les deux frères, les paroles sont lourdes, les silences aussi, les gestes peuvent déraper à tout moment. Le déni et le harcèlement communiquent dans un non-dit précieux. Et tout cela ne fera qu’aller crescendo.
Il y a une sorte de déterministe funeste dans As Bestas qui semble dire que lorsque les Hommes sont trop différents, ils redeviennent des animaux. Angoissant dans ses dialogues puis terrifiant dans ses silences, le métrage devient poignant dès qu'il dévisage son propre climat délétère. Les mots sont ainsi économisés dans les deux langues. Que cela soit au café, sur une route de campagne ou dans les bois, As Bestas est constellé de scènes brillantes et conflictuelles qui font frémir.
Le récit, sans jamais perdre de sa puissance nucléaire est coupé en deux. Lors des moments les plus critiques, il fait le choix d’ellipses et privilégie également les longues scènes de dialogue (de sourds) entre des hommes et des femmes que tout oppose. Sorogoyen continue de nous prouver combien il excelle à planter des ambiances tendues, à construire des plans soignés et à nous appâter avec une intrigue dont on veut absolument savoir la fin. Le deuxième acte mettra Marina Foïs en avant, où elle dévoile cette Olga révolté et pas pour autant résignée de cette situation.
Sorogoyen réussit à rendre cet univers montagneux anxiogène et effrayant, créant par moment une ambiance de film d’horreur. En fait, dans son film, la violence est partout, il y a la vraie, mais aussi la violence verbale, la violence des sentiments, la violence psychologique. Le tout baigne dans une photographie crépusculaire et une ambiance vaguement asphyxiante.
En géant d'argile, Denis Ménochet impressionne comme toujours dans un jeu toute en violence contenu et en présence physique à la limite de l’ogresque. Sorogoyen vient alors appréhender sa sensibilité taillée pour le rôle d’une proie. Marina Fois y trouve un de ses meilleurs rôles, un peu comme dans Irréprochable où elle était parfaite.
Par conviction cultiver la terre, par opinion semer la rancœur. Opposition entre modes de vies, où la jalouse misère prend sa dîme de mort. La haine est dans le pré.
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