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Photo du rédacteurThibault (@lecinemadethibault)

Critique Babylon



Sortie 18 janvier 2023 - Drame, Historique / USA - 3H09

Réalisé par Damien Chazelle Avec Brad Pitt / Margot Robbie / Diego Calva / Jean Smart

 

Après son duel musical dans Whiplash, son hommage à Jacques Demy et au jazz avec La La Land, son premier pas sur la lune avec First Man, puis une petite évasion sur Netflix avec The Eddy, ce dernier remonte encore plus loin dans le temps et la fantaisie en livrant une belle lettre d’amour envers les origines du cinéma.


En partie inspiré par le livre Hollywood Babylon, le film raconte Hollywood à la fin des années 1920, au moment de basculer du cinéma muet au cinéma parlant, à travers l’histoire de quelques-unes de ses figures, célèbres ou anonymes : la star Jack Conrad, la jeune danseuse Nelly LaRoy, l’homme à tout faire Manuel, le trompettiste noir Sidney Palmer, la critique de cinéma Elinor Saint-John et la sulfureuse chanteuse de cabaret Lady Fay Zhu. L’abandon du muet aura ironiquement pour conséquence de multiplier les voix à l’écran, mais cela en musèle tout autant sur la scène publique, médiatique et surtout artistique. C’est dans ce contexte singulier, où le patriarcat prospérait comme une norme culturelle au sein de l’industrie du divertissement, que les idoles sont célébrées, humiliées ou condamnées au bûcher.


Sorte de croisement entre Chantons sous la pluie et Once Upon a Time...in Hollywood, entre Boulevard du Crépuscule et Le Loup de Wall Street, Babylon est un grand-huit ébouriffant, une superproduction ne reculant devant rien pour nous plonger 3 heures durant dans ce ballet des (dés)illusions.

 

Si La La Land abordait les espoirs, les rêves et l’ascension de deux artistes, en particulier d’une actrice, Babylon fait de même sauf qu’à la grande différence on y voit les coulisses de cette ascension, la concurrence et surtout la déchéance de ces mêmes artistes.


Chazelle montre toutes les folies, tous les excès du milieu du cinéma américain des années folles. Il tisse une belle réflexion sur qu’est-ce qu’un artiste ? Comment ces derniers quand ils sont dans le milieu se positionne face aux changements ? Qu’adviendra-t-il de leurs héritages ? Sa mise en scène nous dévoile ce qui se joue en coulisses. La grandeur et décadence du système s'exprime par les trajectoires empruntées par les personnages de Babylon. Il y a enfin des scènes de légende dans ce film : la grande fête inaugurale, les tournages en extérieur des films muets, et la première réalisation avec enregistrement sonore.

Les personnages sont fictifs, même si Jack Conrad est inspiré de John Gilbert, mais l’histoire est bien réelle et le réalisateur Damien Chazelle, né en 1985, est fortement documenté sur cette Hollywood, terre de tous les potentiels et de toutes les déchéances.


A la manière d'un Fellini, Damien Chazelle tourne sa Dolce Vita. Le film se présente comme un récit chronologique et montre la déchéance progressive des super stars de l’ancien monde dans un milieu passablement déshumanisé, où l’on brasse beaucoup d’argent, de drogue et où le sexe est encore relativement libre mais déjà placé sous l’œil suspicieux d’une société qui s’apprête à mettre tout le cinéma sous code en 1930

 

Le film est une véritable montagne russe qui nous fait passer par de multiples émotions. C’est un film à la fois osé, vulgaire, tendre, bouleversant aussi grandiose que son sujet. C’est aussi une fresque épique, aussi délurée que délirante qui vous montre Hollywood dans ses faiblesses mais aussi ses sommets.


Certains dialogues, comme celui de Brad Pitt, face à une journaliste, sont même extrêmement puissants. Il rend ainsi un vibrant hommage à tous ceux qui nous font vibrer dans les salles obscures et montre à quelle point cet art peut nous faire vivre des émotions folles.


Aussi retrouve-t-on tous les tics de mise en scène qui définissaient La La Land et auparavant Wiplash, notamment ce plan de zoom en direction d’une trompette lancée dans un solo de jazz, reproduit ad nauseam ; les amples mouvements d’une caméra en ivresse, le montage cut sur des actions simultanées, les sauts intempestifs d’un personnage à l’autre pour briser le champ/contre-champ…


Certaines lignes mélodiques de sa musique, signée Justin Hurwitz rappellent les harmonies de Another Day of Sun ou City of Stars. Il joue sur la corde de la nostalgie : la nostalgie d’un amour perdu dans La La Land, celle d’un monde en train de disparaître dans Babylon. Son Jazz énergique apporte un rythme endiablé d’autant plus qu’il colle parfaitement au montage frénétique du film. C’est à la fois fidèle au style de la maison et tout à fait novateur.


 

Damien Chazelle conclut son propos, par les yeux de Manny Torres, revenu à Hollywood, qui découvrant Singing in the Rain réalise que tout le passé se fond finalement dans un présent plus abouti et que le Cinéma est plus grand que tous les individus qui en ont fait individuellement l’histoire. Avec cette lettre d'amour passionnée au cinéma d'antan, Chazelle en interroge son présent et sa dualité, ce qui est éphémère et ce qui est éternel. Et met au centre de sa narration la force évocatrice des images, celles qui marquent, celles qui durent, celles qui restent, là-haut, sur l'écran. Il nous questionne une dernière fois : quel plus beau plaisir que celui composé d'un siège confortable, d'une salle, de quelques inconnus, d'un écran large et d'un grand film.


Brad Pitt n'avait été filmé avec autant de mélancolie. L'acteur, avec son look à la Douglas Fairbanks, émeut. Margot Robbie est magistrale et sensuelle. Elle enflamme la pellicule et livre de loin sa plus grande prestation. La révélation c’est Diego Calva, alter-ego du point de vue du cinéaste. Beau, talentueux, charismatique. Son alchimie avec Margot Robbie fait des étincelles.


Après les excès felliniens de la fête vient la gueule de bois et le film devient plus nostalgique et crépusculaire. L’âge d'or d'Hollywood s'éteint et emporte avec lui ses fantômes qui par la magie chimique de la pellicule resteront éternels. Sur ce captivant boulevard des illusions, au cœur de la cité de tous les excès, chantons sous la pluie cette fresque démesurée. Incroyable !

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