Sortie 22 février 2023 - Biopic, Drame / USA - 2H31
Réalisé par Steven Spielberg Avec Gabriel LaBelle / Michelle Williams / Paul Dano / Seth Rogen
Comment Steven devint Spielberg
Revenir à l'essence même du cinéma tel est le pari de Spielberg. Au crépuscule de sa vie, il nous livre son film le plus intime. Il s'agit plus d’un film testamentaire ou à vocation psycho analytique. Le cinéaste a ainsi attendu la mort de ses parents pour tourner The Fabelmans.
Ce récit autobiographique est évidemment le film le plus personnel, le plus intime, de Spielberg. C’est un retour aux sources de sa vie et de son art présenté sous la forme d’une chronique familiale douce-amère. De l'émerveillement du premier film vu avec ses parents, de sa passion qui va monter crescendo pour faire des films de vacances puis avec ses amis, du divorce de ses parents ou encore de l'antisémitisme dont il a été victime, le cinéaste donne naissance à un conte magnifique où il s'affuble du prénom de Sammy. Le cinéma est l'élément déclencheur lorsque Sam tourne sa première vidéo : il s'approprie son art en capturant la lumière dans ses mains. Quand les mots peinent à sortir, le cinéma devient un outil pour communiquer et réparer. Il peut être aussi une arme pour contrer la violence antisémite dont le héros est victime dans les couloirs du lycée.
Un roman d’apprentissage qui débute avec son premier film vu au cinéma et va jusqu’à son entrée à Hollywood et l’affirmation de son ambition, ponctuée d’une rencontre avec John Ford, campé à l’écran par David Lynch. L'air de rien, lentement, il démontre comment le cinéma s'impose à l'enfant, et finit par en faire un adulte. Il en est d'abord victime, des images vues un jour le hantant après jusqu'à l'obsession. Puis il en est le maître. Il devient l'auteur de vérités qu'il ne voulait même pas connaître, après les avoir fortuitement dénichées dans la pellicule. De ces vérités qui nichent dans le caché et le non-dit. Un montage de pellicule les rendra ensuite évidentes pour tout le monde. Est-ce alors un tour de passe-passe ?
On retrouve également la patte du réalisateur dans la mise en scène et notamment dans le regard des personnages ; élément qui a toujours été au cœur de tous ses films et qui est ici d'autant plus présente. Ici, il y a celui qui regarde à travers son objectif, celles et ceux qui sont regardés par ce même objectif, et enfin ces mêmes personnes qui se (re)découvrent sur un grand écran, leur tendant un miroir de ce qu'elles sont ou de ce qu'elles rêveraient d'être, à l'image de cette mère en mal d'amour voyant la vie dont elle rêve, ou de cet élève qui ne se sentira jamais à la hauteur de l'image qu'il se colle lui-même. L’image s’impose comme dévoilement de la réalité mais aussi comme objet de manipulation potentiel. On s’aperçoit que ces thèmes avaient déjà été esquissés ici ou là et qu’ils sous-tendent une grande partie de l’œuvre du réalisateur. Le réalisateur a recréé un monde différent ! Reste à savoir ensuite si ce monde différent est plus réel que le réel qui a servi de base... Peut-on faire un dieu d'un salaud ? Ou vice-versa ? On aura rarement aussi bien montré comment le cadrage, le choix de ce qu’on filme, l’emplacement de la caméra et le montage donnent du sens à l’œuvre finale. Du très grand art.
L’écartèlement entre cinéma et famille est le point nodal du film. Spielberg revient surtout sur la blessure intime qui a joué un rôle fondamental dans sa vocation de cinéaste. Le plus important est sa position de l'art en opposition à la vie et à la réalité. Ce questionnement sur l'art qui apporte la gloire mais qui déchire le coeur est éblouissant. En apprenant son futur métier, en grandissant, Sammy devra affronter des drames familiaux et des tourments lycéens. Autre moment de réflexion sur l’art et la famille : sa rencontre de l’oncle Boris, au cours de laquelle il est question de l’égoïsme de l’artiste, de la passion plus forte que tout, de déchirements à venir… Le drame familial est ainsi intimement lié à une réflexion sur le pouvoir de l’image et cette réflexion est intimement liée à la formation du cinéaste en herbe.
L’œil de la caméra est plus intelligent que l’œil humain. Quand le cinéma révèle ce que dissimule le réel, la pellicule devient un baume qui estompe la douleur. La lentille dévoile les détails de ses conflits avec sa mère et le film évoque également la blessure intime et le pardon de cet adolescent face à la souffrance de cette mère.
Il fait aussi référence à nombreux de ses films antérieurs (ET pour les scènes du placard, AI pour le visage de type androïde de la mère de famille, Les dents de la mer pour la scène emblématique de la confrontation l'oncle et l'adolescent, La guerre des mondes pour la phénoménale entrée dans le cyclone, Munich pour les corps allongés, ses films à dossiers pour le visionnage de la partie de camping, sans compter ses films de guerre et Indiana Jones). Et puis, il y a ces choses qui semblent une évidence en voyant le film : Rappelez-moi par quel moyen les humains communiquent avec les extra-terrestres dans Rencontre du troisième type ? Sa mère était pianiste, son père informaticien.
Gabriel LaBelle dans le rôle de Spielberg adolescent est parfait. C’est la révélation du film et il semble promis un avenir très prometteur. Quelle tache que d’incarner un alter égo de Spielberg mais il démontre une maitrise incroyable, un naturel étonnant et une grande sincérité dans son jeu. Il atteindra la perfection par son mimétisme et sa très proche ressemblance à Steven Spielberg. Paul Dano trouve enfin un rôle qu'il mérite et qui va à l'encontre de ceux où on a l'habitude de le voir. Michelle Williams est impressionnante dans sa capacité à exprimer la complexité de son personnage de femme aimée, entre folle gaieté et désespoir, mère et épouse comblée mais artiste et amoureuse frustrée. Elle est au cœur du film. En deux scènes magnifiques, Judd Hirsch, marque également le film. Son personnage du vieil oncle saltimbanque, incarne ce que l´Art demande de sacrifices.
La lumière magique du projecteur agit comme un faisceau spirituel qui sidère et fascine. Chaque scène est un testament... Un film qu’il réalise sur et pour lui, comme la signature de l’artiste dans le coin du tableau. En super 8 s’ouvre l’horizon d’un faiseur de rêves. De la légende à la réalité, la vérité est dans les images d’un déraillement familial. En visant plus haut que l'horizon, il devient le génie qu'il est aujourd'hui.
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